mercredi 12 novembre 2014

L’origine des noms en Algérie




petitL’entreprise de dislocation filiale perpétrée à l’état civil colonial à partir de 1882 s’est faite sentir sur des générations entières.
Sous l’ombre tutélaire de Mostefa Lacheraf, un débat des plus passionnants s’est déroulé au pavillon central du SILA, sur l’origine des noms en Algérie. Il s’agissait d’un cycle de conférences réparties sur deux jours (les 2 et 3 novembre), dédiées à la reconstitution de notre histoire sociale et culturelle à travers une approche «onomastique», mot savant qui désigne la science des noms. Si la première journée s’est concentrée sur la «toponymie», c’est-à-dire les noms de lieux, la journée de mardi, quant à elle, a été consacrée à l’étude des noms propres (ou «anthroponymie») issus de notre patrimoine onomastique.
Le colloque a été organisé à l’initiative de l’Unité de recherche sur les systèmes de dénomination en Algérie (Rasyd), relevant du Crasc. Et comme ont tenu à le souligner les organisateurs, ce colloque s’est voulu aussi un hommage à Mostefa Lacheraf et fit, d’ailleurs, largement écho à son dernier livre majeur, Des noms et des lieux (Casbah, 1998). Parmi les intervenants à ces rencontres, le professeur Farid Benramdane a régalé l’assistance par un exposé de haute facture sur l’origine des noms propres en Algérie en mettant à nu l’entreprise de dislocation filiale perpétrée par l’état civil colonial à partir de 1882.
M. Benramdane est professeur à l’université de Mostaganem, directeur du laboratoire Environnement linguistique et usages du français en Algérie (Elilaf) et chef de la division toponymie dans l’unité de recherche Rasyd. Alliant érudition et pédagogie, le professeur Benramdane a expliqué que l’identité est d’abord une affaire de noms propres. «Chaque société a un stock de noms propres», a-t-il dit. Il a noté qu’historiquement, les noms, en Algérie, «sont des noms de synthèse». Il a distingué, à ce propos, trois souches fondamentales dont dérivent nos noms propres : la couche libyco-berbère, la couche arabe qui englobe aussi la strate phénico-punique, à quoi s’ajoutent ce qu’il a appelé «les contaminations étrangères» (gréco-latines, turques, espagnoles, françaises, etc).
Il a toutefois considéré que «le substrat de base reste le libyco-berbère». Il a souligné que «la terre et sa dénomination est au cœur du dispositif onomastique algérien. Les noms des grandes tribus fondatrices du Maghreb, les Sanhadja, Kotama, Matmata, Meknassa, Louata, Meghila, ont un sens par rapport au sol», alors qu’«au Machreq, (les noms des tribus) ont un rapport au sang».
«Les noms au Maghreb ont un rapport à la terre»
Farid Benramdane a indiqué que «quand on est sur cette couche (libyco-berbère), on est sur des milliers d’années». Il a cité, par exemple, «Idir» et sa variante «Yedder» : «Ce nom est inscrit sur une stèle archéologique datée de 2000 ans.» Il a ajouté : «Si vous voulez connaître dans une région les noms les plus anciens, il faut interroger les noms des cours d’eau et les noms des montagnes parce qu’ils restent sur des milliers d’années.» Le conférencier a fait défiler, moyennant un data show, des listes entières de noms embrassant de vastes ères généalogiques.
Dans le lot, des noms d’origine latine, à l’exemple de «Maaouche» qui vient de «Marius», «Hammadouche» de «Amadeus». Cet inventaire recense aussi les noms d’origine biblique comme «Rabéa», une déformation de «Rebecca», selon le conférencier. On l’aura compris : le propos du conférencier était de dire combien le patrimoine anthroponymique algérien est riche et, surtout, ancien. Citant par exemple la grande tribu des Zénètes, il a dit, en forme de boutade : «Les Zenata, c’est un nom tellement ancien que seul Dieu en connaît l’origine.» Le professeur Benramdane s’est attaché ensuite à disséquer le système de dénomination mis en place par l’administration coloniale. «La France a travaillé sur deux choses : la terre et la personne.
Pour la terre, il y a eu le Sénatus-consulte (1863), et pour les personnes, ce fut la loi sur l’état civil de 1882.» Le chercheur a souligné qu’à l’arrivée des Français, le système des noms en Algérie était à dominante ethnonymique. Il rappelle que l’Algérie était alors organisée en grandes confédérations tribales : «Il y avait bled Meknassa, bled Halouia, Beni Mediène, Beni Louma, Ouled Haouar, Ouled Derradji… C’étaient des noms de tribus qui étaient, en même temps, des noms de territoires.
Il n’ y avait pas de wilaya comme aujourd’hui. Tiaret s’appelait bled Sersou, Aïn Témouchent, c’était bled Oulhaça, Batna, c’était bled Nememcha. Mais la France a cassé tout ça. Il fallait casser la tribu, casser le territoire pour occuper l’espace.» Le conférencier a poursuivi : «Le système de filiation était de type agnatique (lignée basée sur les ascendants hommes, ndlr), patrilinéaire et tribal, avec la chaîne des prénoms. Exemple : Ali ben Mohamed ben Slimane. Dans notre tradition, la filiation est orale. La France, c’est l’écrit. La France va imposer le nom de famille.» Pour Farid Benramdane, la chaîne anthroponymique traditionnelle consacrait une identité séculaire, «tandis que là, on te donne un nom de famille qui n’a aucune identité».
Citant Ageron, il a dit : «L’état civil devait être une œuvre de dénationalisation». Le but était de «franciser les noms indigènes pour favoriser les mariages mixtes». «La francisation devait toucher les noms pour aboutir à la fusion des peuples.» A l’appui, ces quelques exemples édifiants : «Farid» qui devient «Alfred», «Naïma» se transforme en «Noémie», «Habib» en «Abib», «Hamr El Aïn» en «Hamerlin»… A partir de là, il ne faut pas s’étonner, a relevé l’orateur, qu’il y ait tant d’erreurs de noms, de dégâts patronymiques, dans les registres de l’état civil. «C’est parce que notre état civil perpétue ce qu’a fait la France.
Quand tu fais le S12, tu vas encore fixer la déstructuration au lieu de revenir à l’écriture originelle des noms», a regretté l’expert en onomastique. Pour lui, c’est un véritable «onomacide sémantique». Un massacre des noms.Analysant la structure de l’identité algérienne, Farid Benramdane a rappelé que celle-ci «est constituée de trois composantes : l’islamité, l’amazighité et l’arabité. Mais ce ne sont que des composantes. C’est un match de football avec trois ballons.
Qu’est-ce qui va faire le lien entre l’amazighité, l’arabité et l’islamité ? C’est l’algérianité qui est un mélange. Il y a des noms purement algériens». L’orateur nous apprend que parmi les noms inspirés des attributs de Dieu (asmaa Allah al hosna), «il n’y a qu’en Algérie qu’il y a Abdelkader», un nom qui donnera lieu à plusieurs déclinaisons typiquement algériennes : Kaddour, Abdekka, Kada, Kouider…
«Onomacide» et massacre des noms
Au cours du débat, Farid Benramdane est revu sur la pagaille orthographique constatée dans la transcription des noms. «C’est un très grand problème», dit-il. «Il n’y a pas un Algérien qui n’ait un problème avec son nom !» Le tribunal de Sidi M’hamed enregistre à lui seul, a-t-il rapporté, 40 000 requêtes annuellement de rectification de nom. «Ce qu’on a essayé d’expliquer aux autorités est que ce n’est pas un problème technique. Il y a des présupposés coloniaux qu’on ne maîtrise pas.
Tant qu’on ne revient pas aux fondements de l’état civil de 1882, on ne comprendra pas l’origine du problème.» Le professeur Benramdane a rappelé le travail qu’il a accompli avec d’autres chercheurs sur la question de l’état civil justement, et qui a donné lieu à un précieux ouvrage : Des noms et des… noms : état civil et anthroponymie en Algérie (Oran, Crasc, 2005). «Dix ans sont passés depuis ce livre. En dix ans, il y a eu au moins 7 millions de nouveaux-nés.
On aurait pu au moins normaliser les prénoms», a déploré l’orateur. Il a aussi évoqué le cas des familles de même arbre généalogique, et qui se retrouvent avec des noms éclatés. «La France a attribué des patronymes différents. Ils ont un même nom, mais avec des écritures différentes. Mostefa Lacheraf appelle cela ‘‘l’étiquetage’’. Pour maîtriser la rébellion, ils lui ont donné une lettre de l’alphabet à chaque douar. On a parqué les populations algériennes à partir des lettres de l’alphabet.L’administration ne se rend pas compte du degré de déstructuration qui a été commise pendant la période coloniale.»



lundi 17 février 2014

HISTORIQUE DE LA VILLE DE MEDEA

MEDEAH ou Médéa. À 90 km au sud d’Alger, sur les hauts plateaux qui ferment la vallée de la Mitidja. Elle est à 920 m d’altitude au pied de coteaux couverts de vergers et de vignes. Ancienne Lambdia, elle est dotée d’une citadelle par les Méridinès de Fès. Ancienne station romaine de Medix ou ad Medias , ainsi appelée parce qu’elle était à égale distance de Tirinadi (Berrouaghia) et Sufnsar (Amoura). Une borne militaire trouvée à 1 500 mètres de Mouzaïa-les-Mines, à 13 500 mètres, env. Nord-Nord-Ouest, de Médéa donne le nom de Lambdienses. Ibn-Khaldoun parlera plus tard de lambdia, Labdia, Lemdia. Il est toujours certain que Médéa a été bâtie sur l’emplacement d’un établissement romain, et aux dépens des matériaux de cet établissement. C’est un fait dont il est facile de se convaincre en examinant les maisons. La partie inférieure de l’aqueduc offre aussi des traces de travail antique, et, en le réparant depuis la conquête, on a trouvé des médailles romaines dans les assises inférieures. Mais ce qui est incontestablement antique, c’est le rempart, à l’angle Nord-Ouest de la ville. De ce côté, les fouilles nécessitées pour la construction de l’hôpital ont fait découvrir desnstructions romaines.
Présence turque
Sous la domination turque, elle est gouvernée par le beylika de Titteri, un Bey, adjoint du Dey d’Alger y réside. En 1830, les troupes du maréchal Damrémont sont repoussées jusqu’au Sahel algérois. L’émir Abd-el-Kader y installe son représentant. En 1840, après les combats de la Mouzaïa, les Français imposent leur autorité, mais la ville reste « sainte » pour les musulmans. Clauzel qui l’occupe en novembre 1830 mais il est contraint de l’abandonner en janvier 1831 faute d’effectifs suffisants. Berthezene qui succéde à Clauzel monte à son tour une expédition qui se révèle inutile et couteuse. En 1837, après le traité de la Tafna, Abd el-Kader en fait une de ses capitales et la ville n’est définitivement conquise qu’après la chute de l’émir.
Présence française
Après la prise d’Alger, en 1830, Médéa fut disputée par divers compétiteurs locaux, dont Abd-el-Kader, le Bey de Constantine Hadj Ahmed, et même le Sultan du Maroc ! Les révoltes des tribus des alentours lui firent perdre son importance et elle ne comptait guère plus de 4 000 habitants lors de la prise de possession en 1840. Médéa est définitivement occupée le 17 mai 1840, par l’Armée française après le combat de la Mouzaïa et devient un avant-poste pour assurer la sécurité de la Mitidja. Ce fut une petite ville provinciale française, chef-lieu de subdivision, qui s’éleva à la place de la Capitale du Beylik. Chef-lieu d’arrondissement, commune de plein exercice depuis 1854 Elle demeura, une ville sainte pour les Musulmans et pour les Israélites qui avaient vu naître à Médéa plusieurs Rabbanim très influents et confidents même des Beys du Titteri comme Rabbi Sion Cohen et Rabbi Yéochoua Elkaïm. Trois synagogues, la Grande (rue Belfort), Elkaim et Darmon (rue Moïse) en faisaient un grand lieu de la spiritualité juive dès avant la présence française. Au Nord-ouest de Médéa, à 5 km environ, la forêt de Tibharine dominait le grand domaine des Pères Trappistes et l’oued de Mouzaïa. L’ancienne ville arabe de Médéa a disparu à peu près au milieu des constructions françaises qui se sont élevées de toutes parts ; elle a été éventrées par des places et des rues, qui n’ont laissé d’ancien que ce qui n’a pas dépassé l’alignement. Personne ne s’éleva contre ces transformations qui d’une casbah sordide faisait naître une ville magnifique. La place principaie, dite place d’Armes, fut plantée d’arbres et ornée d’une fontaine en bronze, à son centre ; vinrent ensuite les places de la République, Mered, du Marché européen, du Marché arabe, du Marché aux bestiaux. Sur la place de Mered, un obélisque tronqué fut érigé à la mémoire des officiers et soldats tués lors des différentes expéditions de Médéa. De nombreux édifices furent construits dont la caserne et l’hôpital sur l’emplacement de 1’ancienne casbah et au sommet de la ville, la manutention, le campement et la direction du Génie qui comprenait dans son enceinte une ancienne mosquée dont le minaret servit de poste d’observation. Si la mosquée Mered fut affectée au culte catholique, la plus grande des mosquées fut maintenue au culte musulman. Les fontaines de la ville étaient alimentées par 1’aqueduc qui se trouvait hors de la ville ainsi que l’abattoir et la ferme des Spahis. Médéa était entourée de murs percés de cinq portes : d’Alger, du Nador, de Miliana, Sahraoui et des Jardins. Médéa doit sa grande réussite à une végétation qui n’a rien d’africaine. Les ormes y sont très nombreux et les environs sont couverts de vignobles qui donnent les vins de très grande qualité, les plus renommés d’Algérie. La culture des céréales était très importante et alimentait plusieurs minoteries. La récolte des fruits était aussi très abondante. Médéa était le principal entrepôt des laines, des bestiaux et des grains de la subdivision. Sa situation sur la route du Sud (ainsi que sur la voie ferrée) alimentait un commerce de transit.
Célébrités C’est à Médéa que sont nés le poète Jean Richepin, le compositeur Léo-Louis Barbes, le philosophe Mohammed Ben Cheneb et Edmond Faral administrateur du collège de France