mardi 23 décembre 2008

Les moines du monastère de Tibhirine






En 1937, quelques moines trappistes s’installent près de Médéa, à 100 km au sud d’Alger, dans la montagne, au domaine agricole de Tibhirine qui devient l’abbaye Notre-Dame de l’Atlas. La ferme et les terres sont nationalisées en 1976 mais les moines gardent ce qu’ils peuvent cultiver. Le monastère développe son rôle de ressourcement pour les chrétiens d’Algérie, d’accueil et de rencontres, manifestant l’admirable fraternité qui unit ces hommes si différents et leur désir de participer au plus près à la vie de leurs voisins. Petit à petit, pendant les années 90 marquées par la violence et la détresse, s’est affermie leur décision personnelle et commune de demeurer à Tibhirine quoiqu’il arrive. C’est ainsi qu’ils décident de créer une coopérative agricole avec des villageois pour travailler ensemble ce qui leur reste de jardin et en partager les fruits. Ils prêtent également une salle donnant sur la route pour devenir la mosquée qui manque au village. Leur louange de « priants parmi les priants de l’islam » reflétait confiance, compassion et communion. Dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, sept d’entre eux sont enlevés, séquestrés pendant deux mois, puis assassinés :

Christian de Chergé, prieur de la communauté, 59 ans, moine depuis 1969, en Algérie depuis 1971. La forte personnalité humaine et spirituelle du groupe. Fils de général, il a connu l'Algérie pendant trois ans au cours de son enfance et pendant vingt-sept mois de service militaire en pleine guerre d'indépendance. Après des études au séminaire des carmes à Paris, il devient chapelain du Sacré-Cœur à Montmartre. Mais il entre vite au monastère d'Aiguebelle pour gagner ensuite Tibhirine en 1971. Etudiant à Rome de 1972 à 1974, il était très impliqué dans le dialogue interreligieux. Plus tard, il sera l'âme du groupe islamo-chrétien Ribât es-Salâm (lien de paix). Il fut élu prieur titulaire en 1984. Après une première visite d'un groupe terroriste au monastère, sentant combien leur situation était précaire, il avait écrit son testament spirituel. Trois semaines avant son enlèvement, alors qu'il prêchait une retraite, il avait laissé cette consigne : "Ne pas tuer soi-même, le temps [les délais de Dieu], la confiance, la mort [banalisation], le pays, l'autre, l'Église. Les cinq piliers de la Paix : patience, pauvreté, présence, prière, pardon. "

Le Frère Luc Dochier, 82 ans, moine depuis 1941, en Algérie depuis 1947. Celui que l'on appelait "le toubib" était, selon ses propres termes, "un vieillard usé mais pas désabusé". Médecin, il a exercé pendant la deuxième guerre mondiale avant de prendre la place d'un père de famille nombreuse en partance pour un camp de prisonniers en Allemagne. Pendant cinquante ans à Tibhirine, il a soigné tout le monde gratuitement, sans distinction. En juillet 1959, il avait déjà été enlevé par les membres du FLN (Front de Libération Nationale). Il se distinguait par son humour solennel, plein de sagesse, et par ses talents culinaires. Rarement il laissait voir le trésor caché dans son cœur. Quand il entra dans le « club des octogénaires », parlant à ses frères dans la salle de réunion il dit : "Tibhirine a résisté à la guerre, a résisté aux terroristes... c'est mystérieux. Pour ma mort, si elle n'est pas violente, je demande qu'on me lise la parabole de l'enfant prodigue et qu'on dise la Prière de Jésus. Et puis, s'il y en a, qu'on me donne un verre de champagne pour dire à-Dieu à ce monde... avant le Vin nouveau [Journal de Christophe, 30 janvier 94]."

Le Père Christophe Lebreton, 45 ans, moine depuis 1974, en Algérie depuis 1987. Une personnalité chaleureuse et explosive. Septième de douze enfants, ce fils de Mai 68 a fait son service national au titre de la coopération en Algérie. Premier contact avec le monastère de Tibhirine. A 24 ans, il entre au monastère de Tamié. Mais il est amoureux de la terre algérienne. Il y sera ordonné prêtre en 1990 et deviendra maître des novices de la communauté. Écrivain infatigable, guitariste de cœur, poète à toute heure, il était toujours du côté des pauvres et des marginaux. Pendant les dernières années, Frère Christophe tenait un journal dans lequel il nous donne à comprendre la fidélité à Dieu et à l'Algérie qui l'animait.

Le Frère Michel Fleury, 52 ans, moine depuis 1981, en Algérie depuis 1985. Un homme simple pour ne pas dire effacé, mais épris de pauvreté. Membre de l'Institut du Prado, il vécut une dizaine d'années à Marseille, toujours en contact avec le milieu maghrébin. C'était un homme de peu de paroles et un travailleur infatigable. A Tibhirine, il était le cuisinier de la communauté et l'homme des travaux domestiques. Il avait toujours sur les lèvres ces mots : Inch Allah ! (S'il plaît à Dieu !) ; Il offrit sa vie pour l'Algérie et son offrande fut consommée le jour même de son anniversaire : il avait cinquante-deux ans.

Le Père Bruno Lemarchand 66 ans, moine depuis 1981, en Algérie et au Maroc depuis 1990. Il passa son enfance en Algérie où son père était militaire. Avant d'entrer au monastère, il fut directeur d'un grand collège privé en France. Supérieur depuis 1992 de la maison annexe de l'Atlas, à Fès, au Maroc, il se trouvait à Tibhirine le jour de l'enlèvement presque par hasard, étant venu pour participer au vote pour le renouvellement du prieur. C'était un homme très pondéré et très simple. Il s'était préparé à la profession monastique par ces mots révélant la disposition de son cœur : "Me voici devant vous, ô mon Dieu... Me voici, riche de misère et de pauvreté, et d'une lâcheté sans nom. Me voici devant Vous, qui n'êtes qu'Amour et Miséricorde."

Le Père Célestin Ringeard, 62 ans, moine depuis 1983, en Algérie depuis 1987. Son service militaire fait en Algérie le marqua pour le reste de sa vie, car notamment, en tant qu'infirmier, il soigna un maquisard que l'armée française voulait achever. Ordonné prêtre le 17 décembre 1960 (diocèse de Nantes), il exerça son ministère pastoral auprès des marginaux, des prostituées et des homosexuels de la ville. Arrivé à l'Atlas en 1987, il fit profession solennelle le 1er mai 1989. Il avait une grande sensibilité et entrait facilement en relation avec les autres. Organiste, il aimait la musique et était le chantre de la communauté. Après la première visite du Groupe islamique armé, à Noël 1993, il dût être opéré du cœur et son état de santé était très fragile.

Le Frère Paul Favre-Miville, 57 ans, moine depuis 1984, en Algérie depuis 1989. Il entra au monastère de Tamié en 1984, alors qu'il exerçait la profession de plombier. Arrivé à l'Atlas en 1989, il fit profession solennelle le 20 août 1991. Très habile dans tout travail manuel, il était chargé du système d'irrigation du potager du monastère. Le 26 mars, jour de l'enlèvement, il revenait d'un séjour en famille en France, avec une provision de pelles et de pousses de hêtres. Car Tibhirine veut dire "jardin"... Le 11 février 1995 il avait écrit

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